Ces bactéries (cyanobactéries) qui empoisonnent nos plans d’eau.

Votre fait du jour - LUNDI 29 AOÛT 2022 Le Grand Parisien

ÎLE-DE-FRANCE | Presque inexistantes il y a trente ans,chaque été, les cyanobactéries prennent plus d’ampleur. Conséquence : baignade interdite, danger mortel pour les animaux et risques pour l’homme.

Cyanobactérie - cyanobacterium - sur Wikipedia.org


par AURÉLIE FOULON


LA TEINTE verte presque fluo et ses reflets huileux pourraient laisser croi-
re à un déversement de produits chimiques. La prolifération de cyanobactéries est telle que l’eau de l’île de loisirs des Boucles de Seine, à Moisson-Mousseaux (Yvelines), dissuade quiconque d’y piquer une tête malgré les températures caniculaires.
« Rien qu’à la couleur et l’odeur, je n’y mettrai pas un pied ! » lance Donovan, 50 ans, occupé à surveiller ses cannes à pêche. Et pour les plus téméraires, la consigne est claire : « À la demande de l’agence régionale desanté (ARS), la baignade et les activités nautiques sont interdites sur le site jusqu’à nouvel ordre », affiche l’île de loisirs dès l’entrée du parking, gratuit vu les circonstances.
Les risques sont bien réels : les cyanobactéries peuvent libérer des toxines provoquant des troubles digestifs (vomissements, diarrhées…), neurologiques (étourdissements, malaise, fièvre) ou cutanés. Une intoxication chronique aux cyanotoxines peut provoquer tumeurs et cancers. « Certaines peuvent même tuer un chien de 60 kg en dix minutes », prévient Cécile Bernard, écotoxicologue microbienne et responsable de l’équipe de recherche cyanobactéries au Muséum d’histoire naturelle.
Avec la chaleur, la baisse des niveaux et des débits d’eau, les (très) faibles précipitations, ces cyanobactéries qui se nourrissent d’azote et phosphore, issus de l’activité humaine (agriculture, eaux usées, ruissellement d’eau de pluie sur les sols imperméables), prolifèrent ces dernières années. En particulier cet été.
« Le chien a bu un peu et il a été malade trois jours »
Pour Donovan, venu de Louviers (Eure) avec Moran, 36 ans, afin de pêcher pendant quinze jours, la restriction ne change rien à leur activité favorite : « On pêche, on pèse, on prend une photo et on remet à l’eau… On ne mange jamais le poisson ! »
Les circonstances les amènent tout de même à prendre quelques précautions. « On a ce qu’il faut pour se laver les mains et bien rincer le matériel », montre Moran. « Et le chien est attaché loin du bord, avec sa gamelle d’eau, enchaîne Donovan.
Déjà, quand on est venu en avril, il pataugeait sur le bord, il en a bu un peu et il a été malade trois jours ! »
Un peu plus loin, Maria et Daniel regrettent l’absence de précisions sur les causes de cette interdiction. « C’est vrai qu’un enfant qui met tout à la bouche pourrait s’empoisonner », s’inquiètent-ils. Le retraité est surtout dubitatif sur la périodicité des tests :

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« L’eau n’est pas analysée tous les jours, et il y a sans doute une période où la baignade est encore autorisée alors que la toxine est déjà présente. »
Un avis partagé par Audrey, dont le fils de 2 ans a été malade après une visite à l’île de loisirs, quelques jours avant l’interdiction. « Il a joué aux jets d’eau, et il a dû boire un peu car la nuit suivante a été catastrophique : maux de ventre, diarrhée… J’ai tout de suite pensé à ça. Il est anormal que les tests ne soient pas réalisés en amont et surtout régulièrement », commente-t-elle sur les réseaux sociaux.
Car la réglementation ne prévoit que quatre prélèvements pendant la saison, ainsi qu’une simple surveillance visuelle de la transparence et de la couleur de l’eau. Et uniquement pour les eaux de baignade, soit seulement 18 sites sur les 980 plans d’eau d’Île-de-France.
Les résultats sont bien publiés sur le site du ministère de la Santé… mais ne sont pas à jour. Les derniers, pour l’île de loisirs des Boucles de Seine, datent de plus d’un mois et indiquent une « eau de bonne qualité ». Idem pour les étangs de Hollande, aux Bréviaires (Yvelines), pour lesquels l’ensemble des résultats des prélèvements est qualifié de « bon » voire « moyen », alors que le site alterne les périodes d’ouverture et de fermeture depuis la mi-juillet.

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« Les cyanobactéries n’entrent pas dans le classement des baignades, décrypte la Direction générale de la santé. Cependant, la présence éven- tuelle de ces microalgues est recherchée et prise en compte dans la gestion des sites car peut constituer un véritable risque pour les baigneurs. »
De nombreux autres plans d’eau de la région ont été touchés cet été. Comme le lac de Créteil (Val-de-Marne), où les activités de paddle sont désormais suspendues. L’été 2020, au lac d’Enghien (Val-d’Oise), ces algues ont tué 12 tonnes de poisson. Il y a une dizaine de jours, à Buno-Bonnevaux (Essonne), les gardes-rivières du syndicat intercommunal d’aménagement, de réseaux et du cycle de l’eau (Siarce) alertaient sur les réseaux sociaux d’une « prolifération au niveau des étangs de la rive gauche qui s’est propagée jusqu’à la rivière Essonne ». La communauté d’agglomération de Val d’Europe a aussi appelé à la vigilance

Où sont les affichages préventifs ?
Au bord des étangs, des mares et des rivières intoxiqués, rien ne prévient que le contact de l’eau peut être fatal. À Crécy-la-Chapelle (Seine-et-Marne), Julia en a fait les frais avec Naxy, son dalmatien. « Début juillet, nous sommes allés en promenade sur les bords du Morin, rembobine la jeune femme.
Comme d’habitude, il a sauté à l’eau en arrivant. Le soir même, ce gros mangeur n’a rien avalé. Le lendemain, au réveil, il y avait des dizaines de vomis, il s’est mis à tousser énormément. Le vétérinaire a fait une radio des poumons qui se sont révélés complètement infectés. C’est là qu’il m’a parlé des cyanobactéries. »
Après trois semaines de traitement, le dalmatien << commence à peine à retrouver son poids de forme ». Mais Julia est en colère du défaut d’information. « Il n’y avait pas de canoë ce jour-là, c’est bien que les autorités devaient savoir qu’il y avait un risque. Et il n’y avait pas d’affichage ! »
C’est pour pallier ce manque prévention que Christophe Tonnaire, retraité, a lancé le collectif Cyanobactéries alerte. « Je me suis aperçu qu’il y a très peu d’informations sur ce phénomène largement sous-estimé », peste celui qui est devenu incollable sur le sujet. Il a donc créé une page Facebook et un site Internet sur lequel il publie une carte mentionnant chaque cas suspect qui lui est rapporté, après en avoir vérifié la crédibilité. En Île-de-France, une trentaine de sites ont été signalés cet été.


ÉTUDE | De plus en plus d’algues

LE RISQUE sanitaire des cyanobactéries est pris en considération par l’OMS depuis 1999, mais l’étendue des connaissances est encore limitée.
« Sur une zone de loisirs nautiques, lorsqu’il n’y a pas d’activité de baignade, l’ARS n’est pas compétente pour assurer le suivi de la qualité de l’eau », indique l’agence régionale de santé.
Et pour les autres plans d’eau, rien :« les tests systématiques seraient bien trop coûteux », explique Christophe Laplace-Treyture, hydrobiologiste et algologue à l’Institut national de la recherche agronomique, qui mène des travaux pour trouver les meilleurs moyens de les détecter.
Les épisodes de chaleur à répétition, la sécheresse qui réduit le débit et le niveau des cours d’eau, l’apport en nutriments que sont l’azote et les phosphates issus de l’activité humaine (engrais, effluents d’élevage, activité industrielle, ruissellement des eaux de pluie lessivant les sols et les terres agricoles) : tout est réuni pour favoriser leur développement. L’Île-de-France est ainsi classée « zone sensible à l’eutrophisation » depuis 2005.
Pour mieux cerner le phénomène, des équipes du Muséum national d’histoire naturelle ont mené trois projets de recherche depuis 2008.
« Ce n’était pas possible d’analyser les 980 plans d’eau de la région, il a donc fallu les définir et les catégoriser en fonction de leur zone hydrographique, de leur nature, taille, altitude, surface, de leur usage et de la densité de population alentour », décrit Cécile Bernard, écotoxicologue microbienne et responsable de l’équipe de recherche cyanobactéries au MNHN.

À partir de cet état des lieux, ils ont été répartis en 10 catégories. Cinq lacs ont été tirés au sort dans chaque catégorie pour y prélever des échantillons et les analyser à chaque saison.
Des cyanobactéries détectées dans 49 plans d’eau sur 50
La thèse de doctorat d’Arnaud Catherine, intitulée « Déterminisme des efflorescences et de la toxicité des cyanobactéries en milieu périurbain (Île-de-France) », dirigée par Cécile Bernard et Marc Troussellier, permet d’avoir une idée de la vulnérabilité de chaque plan d’eau face au risque de prolifération de cyanobactéries.
Il en ressort que « 72 % des plans d’eau d’Île-de-France sont soumis à l’eutrophisation », relève Cécile Bernard. C’est-à-dire que le milieu reçoit trop de matières nutritives assimilables par les algues et que celles-ci prolifèrent. Des cyanobactéries ont été détectées dans 49 des 50 plans d’eau représentatifs que nous avons analysés, reprend Cécile Bernard. Elles sont dominantes dans 12 d’entre eux, ce qui signifie que le quart des plans d’eau en Île-de-France sont dominés par les cyanobactéries. »
À partir des données issues de ces travaux, on a pu répartir ces plans d’eau en trois catégories : 12 très vulnérables, 9 peu vulnérables et 28 pouvant basculer d’un côté ou de l’autre. « 40 % des lacs de la région présentent des proliférations de cyanobactéries d’intensité variable pouvant rendre ces milieux incompatibles avec les activités récréatives », concluent les chercheurs.
A.F. AVEC VICTOR ALEXANDRE


FOCUS | Comment s’en débarrasser ?

POUR LES ÉTANGS de Hollande, aux Bréviaires (Yvelines), la communauté d’agglomération Rambouillet Territoires a investi 20 000 € dans une cyanobox, un « outil qui envoie des ultrasons pour rompre la membrane de l’algue qui ne peut plus flotter et coule, expliquait Thomas Gourlan, président de Rambouillet Territoires.
N’ayant plus accès à la photosynthèse, la plante va ainsi mourir et se dégrader. Las, cette année encore, les étangs sont en butte aux cyanobactéries et fermés à la baignade.
Seulement, « aucune étude n’a été publiée concernant les procédés de maîtrise du développement massif de biofilms à cyanobactéries dans les cours d’eau », souligne l’Anses dans son « Évaluation des risques liés aux cyanobactéries et leurs toxines dans les eaux douces » publiée en 2020. L’Agencenationale de sécurité sanitaire ajoute que « de nombreux scientifiques s’opposent à l’usage de traitements curatifs des proliférations de cyanobactéries, de quelque nature qu’ils soient, sur des systèmes considérés comme étant des éco-systèmes naturels ».
Le risque est de déséquilibrer encore plus les milieux naturels. « Les conséquences des produits chimiques, ultrasons, apports en eau oxygénée et autres aérateurs ne sont pas toujours mesurées », s’inquiète Christophe Laplace-Treyture, ingénieur de recherche en hydrobiologie et algologie à l’Institut national de la recherche agronomique (Inrae).

Des élus mal informés
« Il y a pas mal d’arnaques, s’agace Cécile Bernard, écotoxicologue.
On a déjà du mal à arriver à nos fins avec des ultrasons en laboratoire, alors sur un lac de plusieurs hectares… La seule solution, c’est limiter les intrants, c’est-à-dire le phosphore et l’azote, provenant de l’activité humaine, qui les nourrissent, mais il s’agit de politique de long terme. »
« On a eu l’exemple sur la base nautique de Viry (Essonne) avec une présence de cyanobactérie quasi permanente qui a chuté brutalement. On s’est aperçu que la mise en place d’un système de récupération d’eaux pluviales avait eu pour conséquence directe la baisse de la charge en phosphates. »
« Les élus ne sont pas toujours bien informés et cela va plus vite de se tourner vers des produits miracles plutôt que de mener un travail de fond qui ne se verra pas forcément avant les prochaines élections », tacle un scientifique.
A.F.


SAVOIR LES REPÉRER
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